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Le Declic de l'info

« SOS Langues Maternelles « 

Chaque 21 février, le monde célèbre la Journée Internationale des Langues Maternelles. Cette année, nous marquions le 25e anniversaire de cette célébration. Au Cameroun, un programme est en implémentation, pour faciliter l’apprentissage de cet héritage culturel. Dans nos établissements scolaires, on parle du programme intitulé « LeMémo ». Cependant, il se heurte encore à de nombreuses difficultés. L’avènement des réseaux sociaux constituent aussi des obstacles. L’analyse de Cyrille Talla Sandeu, représentant Cameroun du Comité de coordination de la Semaine des Langues Africaines (ACALAN).

LDI: Plus que par le passé, l’apprentissage des langues maternelles, fait face à des clivages et blocus, qu’est-ce qui pourrait expliquer ce phénomène ?
CTS: Malgré la diversité linguistique du Cameroun (273 langues recensées en 2025), la transmission de ces idiomes s’essouffle. Plusieurs facteurs socioculturels, politiques et économiques expliquent ce déclin.

En premier plan, on pourrait évoquer l’héritage colonial. Le français et l’anglais, langues officielles et de scolarisation, dominent la sphère publique. Ils servent de lingua franca entre citoyens de différentes ethnies, reléguant de facto les parlers locaux au second plan. Cette primauté des langues officielles a un effet d’éviction : 43 % des 7000 langues parlées dans le monde.

Elles sont menacées de disparition, et plus de la moitié des langues africaines pourraient s’éteindre d’ici la fin du siècle, selon l’ONU.

Le Cameroun n’échappe pas à cette tendance lourde.
Les dynamiques familiales et sociales accentuent le problème. Dans de nombreuses familles urbaines, les parents n’enseignent plus la langue maternelle à leurs enfants. Ils pensent qu’elle trahirait un statut social modeste.https://www.unesco.org/fr/articles/journee-internationale-de-la-langue-maternelle-pourquoi-leducation-multilingue-est-un-pilier-de

Par snobisme ou par souci de réussite scolaire, beaucoup estiment qu’un enfant qui parle d’abord sa langue « du village » part avec un handicap.

Conséquence : de jeunes citadins camerounais comprennent à peine la langue de leurs grands-parents. Et la chaîne de transmission linguistique se brise.
L’exode rural et la mondialisation jouent également un rôle majeur.

L’urbanisation rapide fait migrer des familles entières vers les grandes villes (Yaoundé, Douala, Bafoussam…). Dans ces villes, le français, l’anglais, le Camfranglais ou le pidgin s’imposent comme langues du quotidien. De plus, les mariages mixtes entre ethnies différentes compliquent le choix de la langue familiale.

Lorsqu’un père et une mère ne partagent pas la même langue maternelle, ils basculent souvent vers le français ou l’anglais à la maison. Concours de circonstance, l’enfant est sans réel apprentissage d’aucune de ses langues d’origine. Or cela aurait été un avantage pour acquérir 2 langues.

Par ailleurs, certaines langues nationales dominantes, supplantent les plus petites dans leur aire géographique. Au Nord, l’extension du fulfuldé, langue maternelle la plus parlée du Cameroun avec environ 5 millions de locuteurs a entraîné l’« endormissement » de nombreuses langues nationales (giziga, mofu, kotoko…).

Des parents autrefois fiers de leur langue adoptent désormais le fulfulde. Il est comme vecteur avec leurs enfants, accélérant l’abandon des autres parlers. Le phénomène est similaire dans le Sud : l’éwondo, langue transrégionale véhiculaire, peut écraser des langues de villages voisins moins répandus.

Enfin, le manque de valorisation culturelle et économique des langues maternelles les rend moins attrayantes pour les jeunes générations. Pendant longtemps, parler exclusivement français ou anglais était perçu comme un signe de réussite intellectuelle.

Les langues africaines étaient cantonnées au domaine traditionnel ou informel, sans débouchés visibles dans la société moderne. Face à la télévision, à Internet et à l’école qui diffusent des contenus en langues dominantes, les langues nationales ont semblé hors du temps.

Les détenteurs du savoir (chefs coutumiers, anciens) se font de plus en plus rares. Aussi, le mode traditionnel de transmission orale montre ses limites à l’ère numérique. Conséquence : un risque réel de disparition pèse sur de nombreuses langues camerounais.

Dans certaines régions, deux générations suffisent pour qu’une langue s’éteigne si elle n’est plus apprise. Au moins sept langues du Cameroun seraient déjà « quasi éteintes » ou sérieusement menacées, d’après des linguistes.

Avec chaque langue qui meurt, c’est un pan du patrimoine immatériel (contes, savoirs endogènes, mémoire collective) qui disparaît.

LDI: A l’ère des NTICs, comment pourrait-on les mettre à contribution pour vulgariser l’apprentissage des langues maternelles ?
CTS: Face à l’érosion de la transmission traditionnelle, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) offrent un espoir inédit pour la vulgarisation des langues maternelles.

Internet, les applications mobiles, les réseaux sociaux, l’IA et autres outils numériques abolissent les distances. Ces canaux proposent de nouvelles façons d’apprendre de manière ludique et interactive.

Au Cameroun, des jeunes entrepreneurs et développeurs ont créé des plateformes innovantes pour revitaliser les idiomes nationaux.

Parmi les plus en vue, Resulam, Ntealan, Lamba Africa et Metchùp se positionnent en pionniers de l’apprentissage linguistique 2.0.
En dehors des « grandes » plateformes, les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important.

Sur Facebook, WhatsApp, YouTube ou TikTok, prolifèrent des pages et chaines consacrées aux langues camerounaises. Des cours express de basa, proverbes duala du jour, sketches humoristiques en fulfuldé sous-titrés, etc…sont proposés.

Les jeux vidéo et applications ludiques ne sont pas en reste. on voit apparaître des mémory en langue locale. On peut aussi parler des claviers Android. Ils intégrent les caractères spéciaux des langues camerounaises.


Des cas concrets de succès commencent à émerger au Cameroun et en Afrique. L’application mobile “Mayegue” (qui signifie « j’apprends » en ewondo) en est un exemple récent.

Mayegue ambitionne de préserver les langues maternelles « à travers l’espace et le temps ». Il enseigne aussi l’histoire et les valeurs culturelles liées à chaque langue. Via des notes audio, des animations et des QCM interactifs, l’application rend l’apprentissage attractif.

Le numérique est désormais perçu comme un allié incontournable. Il permet de documenter et diffuser ce riche patrimoine linguistique.


Sur le reste du continent, les initiatives foisonnent également.

Au Nigeria, des applications ludiques pour apprendre le yoruba ou le haoussa ont vu le jour. Elles sont portées par la diaspora (on peut citer “Yoruba101”, “Igbo Amaka” etc.).

Au Kenya, le gouvernement a récemment approuvé le développement de manuels scolaires en langues locales (gikuyu, dholuo, etc.). Et il a intégré 18 langues dans le curriculum jusque dans le supérieur.

Au Sénégal, la startup Jangoon propose d’apprendre le wolof via SMS interactifs. Partout, des communautés en ligne se créent pour échanger des ressources.

Un Tanzanien peut ainsi enseigner le swahili à un Camerounais via WhatsApp. Le camerounais pour sa part, peut lui apprend le camfranglais populaire à Douala.

La technologie abolit les distances et crée une solidarité panafricaine autour des langues. Toutefois, nous pensons que ces outils ne remplaceront jamais complètement l’immersion familiale ou communautaire.

Mais ils constituent un levier puissant pour compléter et renforcer l’apprentissage traditionnel.

LDI: Un sondage auprès des parents, montre que le désintérêt est manifeste. Comment susciter à nouveau l’intérêt chez les jeunes ?
CTS: Plusieurs raisons expliquent ce désintérêt relatif. D’abord, le système scolaire post-colonial a longtemps marginalisé les langues nationales. Pendant des décennies, l’école a même sanctionné les élèves surpris à parler “le dialecte” en classe. De cet interdit est né idée. La langue maternelle était incompatible avec la réussite académique.

Encore aujourd’hui, en dehors des écoles pilotes du programme ELAN-Afrique, l’enseignement primaire-secondaire se déroule presque exclusivement en français ou en anglais.

Résultat : un jeune passe le plus clair de son temps éveillé à manipuler des langues étrangères. Tout ceci, en reléguant sa langue natale au rang de curiosité occasionnelle.

Cette situation engendre un décalage entre la sphère formelle (valorisée) et familiale (dévalorisée). Beaucoup de jeunes finissent par associer leur langue à l’illettrisme ou à l’infériorité sociale.

C’est un complexe linguistique qui les pousse à bouder l’apprentissage.
La pression sociale et l’urbanisation renforcent ce complexe.

En ville, parler la langue de sa communauté peut susciter moqueries ou incompréhension de la part des pairs.

Entre jeunes Camerounais de différentes origines, le camfranglais (mélange d’argot français, d’anglais et de langues locales) s’est imposé comme le sociolecte branché.

Dans ce sabir urbain, seules quelques expressions issues des langues maternelles survivent. Et là, elles sont souvent transformées ou humoristiques. La maîtrise sophistiquée d’une langue nationale n’est pas perçue comme “cool” ou utile dans les échanges du quotidien. Pire, certains adolescents avouent avoir honte de leur langue maternelle. Surtout lorsqu’ils ne la parlent pas bien, par peur d’être tournés en dérision pour leur accent approximatif.

Cette peur de l’échec ou du ridicule constitue un frein psychologique réel à l’apprentissage volontaire.
Le manque de supports adequats et adaptés à leur ère joue aussi un rôle. Jusqu’à récemment, pour apprendre sa langue, un jeune n’avait accès qu’à quelques manuels. Notamment, des dictionnaires rares ou aux longues causeries avec les anciens du village, bref rien de très interactif ou adapté à son univers. Sans contenus attractifs (BD, applis, chansons populaires) dans ces langues, difficile de capter l’attention des “digital natives” abreuvés de Netflix et de jeux vidéo.


LDI: Pourtant, de nombreux jeunes expriment un désir latent de se reconnecter avec leurs racines, pour peu que l’approche change. Dans ce cas de figure, comment les motiver concrètement ?
CTS: Les stratégies se multiplient pour reconquérir la jeunesse. On a la gamification de l’apprentissage, contenus ludiques et valorisation sur les réseaux. Les plateformes numériques précédemment citées misent à fond sur la gamification. En effet, obtenir des points en réussissant des quiz en une langue nationale quelconque, est une approche. Aussi, débloquer des niveaux comme dans un jeu vidéo et même se lancer des défis linguistiques entre amis, etc.

Cette approche transforme l’apprentissage en défi et en plaisir et non en corvée. Le contenu interactif est roi. On met l’accent sur des modules audio-visuels, applications mobiles colorées, bandes dessinées bilingues…

Par exemple, l’appli Mayegue utilise des animations et questions-réponses ludiques. Le but visé est de maintenir l’engagement des utilisateurs. Sur YouTube, des tutoriels “J’apprends le duala en 5 minutes” accumulent des milliers de vues. C’est la preuve qu’avec le bon format, le public jeune répond présent.


Les réseaux sociaux offrent un terrain de jeu idéal pour des campagnes virales. Des challenges TikTok encouragent par exemple les jeunes à poster une courte vidéo. Contenus dans lesquels, ils prononcent un virelangue dans leur langue maternelle, sous un hashtag dédié. L’effet d’entraînement et de peer influence (influence des pairs) peut aider à changer les perceptions.


Une autre piste consiste à intégrer la culture pop et les centres d’intérêt des jeunes. Par exemple, produire des versions en langue locale de chansons à la mode, de séries ou de contes connus. Au Cameroun, certains artistes urbains comme Tenor, Cysoul, Kris-M insèrent désormais des paroles en leur langue dans des morceaux de rap ou d’Afro-pop. Ce jeu suscitent la fierté de leurs fans du même groupe ethnique. Partant de là, la transmission devient facile.

Des festivals et concours de slam en langues maternelles sont organisés dans les universités, les instituts et laboratoires de recherche comme l’ACETELACH, où la créativité langagière est applaudie. Ces événements montrent qu’une langue africaine peut être moderne et branchée.

Le succès du camfranglais lui-même illustre bien que les jeunes adorent jouer avec la langue dès lors qu’ils se l’approprient. pourquoi ne pas les encourager à faire de même avec la base originelle de ce camfranglais, à savoir leurs langues maternelles ?


Enfin, rien de tel que des modèles et témoignages positifs pour inspirer la jeunesse. Des personnalités camerounaises commencent à prendre la parole pour raconter leur cheminement linguistique. L’artiste Kareyce Fotso a souligné l’importance et les bénéfices de parler sa langue maternelle, y voyant un moyen de « briser les chaînes de la colonisation ».

Kareyce Fotso chante aujourd’hui la plupart de ses titres en ghɔmálá’ et promeut sur sa page Facebook des solutions web pour apprendre cette langue. Voir une vedette de la nouvelle génération valoriser ainsi sa langue natale a un effet d’entraînement sur les jeunes fans, qui y trouvent une source d’inspiration.

De même, le footballeur international Joël Matip ou l’influenceuse Caleb Leké (très suivie sur Instagram) ont récemment lancé des messages en faveur de l’apprentissage de la langue maternelle, insistant sur le fait qu’on peut être moderne et “successful” tout en parlant le ɓasaá ou le mundaŋ. Ces rôles modèles contribuent à changer le regard que les jeunes portent sur leur héritage linguistique.

LDI: Est-ce que les politiques de l’Etat mis en place sont assez suffisant et pratique pour faciliter cet apprentissage ?
CTS: Dès la fin des années 1970, des intellectuels camerounais ont lancé le PROPELCA (Projet de Recherche Opérationnelle pour l’Enseignement des Langues au Cameroun), une initiative pionnière visant à introduire progressivement les langues nationales dans l’enseignement primaire.

Ce programme expérimental, soutenu par l’Université de Yaoundé et l’Association nationale des comités de langues Camerounaises (ANACLAC), a élaboré des orthographes standard (Alphabet général des langues camerounaises, AGLC 1979,1984) et formé des enseignants bilingues.

Malgré des résultats encourageants en milieu rural, PROPELCA est resté cantonné à un nombre limité d’écoles pilotes durant des décennies faute de volonté politique forte et de financements suffisants.


Il a fallu attendre 2008 pour que le gouvernement camerounais envisage sérieusement d’adosser les langues nationales au système éducatif national à travers la creation d’un departement de langues et cultures camerounaises à l’ENS de Yaoundé.

En 2014, le Cameroun a rejoint le programme ELAN-Afrique (École et langues nationales en Afrique), une initiative de l’Organisation internationale de la Francophonie, pour consolider ces efforts.

ELAN a permis l’édition de manuels bilingues (français-langue nationale) et la formation d’instituteurs au bi-plurilinguisme. Pour l’instant 5 langues (ewondo, fulfulde, ghɔmálá’, ɓasaá, dualá) sont en cours d’experimentation dans l’education de base.

Ces avancées ne doivent pas occulter les lacunes persistantes. D’une part, la portée du programme reste limitée : la grande majorité des écoles camerounaises n’enseignent toujours pas la moindre langue nationale.

Comme le souligne l’UNESCO, environ 80 % des enfants en Afrique subsaharienne ne reçoivent pas d’enseignement dans leur langue maternelle à ce jour, le Cameroun ne faisant pas exception.
Plusieurs freins structurels limitent l’impact des politiques actuelles. L’absence d’une véritable politique linguistique nationale claire est pointée du doigt.

Contrairement à d’autres pays africains qui ont légiféré pour faire de certaines langues locales des langues co-officielles ou nationales, le Cameroun n’a pas encore de loi solide consacrant le rôle des langues maternelles dans l’éducation et l’administration. Cette ambiguïté n’incite pas les acteurs du système à changer leurs pratiques.


En outre, les difficultés logistiques et financières abondent : pénurie de manuels et de supports pédagogiques en langues locales, manque d’orthographes standardisées pour de nombreuses langues, rareté des dictionnaires et grammaires de référence, sans parler de la formation insuffisante des enseignants à la didactique bilingue.

LDI: Comment un instituteur pourrait-il enseigner en ɓasaá ou en mafa s’il n’a lui-même jamais appris à lire/écrire dans cette langue et ne dispose d’aucun manuel validé ?

CTS : La chaîne de production de contenus éducatifs en langues nationales est encore balbutiante (quelques ouvrages grâce à PROPELCA/ELAN, souvent financés par des bailleurs internationaux, mais pas d’industrialisation éditoriale à grande échelle). L’autre complexité est organisationnelle : dans un pays à plus de 200 langues, mettre en place un système éducatif multilingue relève du casse-tête.

LDI: Faut-il enseigner uniquement en langue locale en maternelle, puis introduire le français/anglais plus tard, ou faire du bilinguisme simultané ?

CTS: Ces arbitrages complexes requièrent expertise et concertation, et le Cameroun avance prudemment, parfois trop lentement au goût des militants.
Comparativement, d’autres pays africains ont mis en place des politiques plus audacieuses. L’Éthiopie par exemple utilise une vingtaine de langues locales comme langues d’enseignement dans les premières années de primaire, et l’amharique (langue nationale) est langue officielle aux côtés de l’anglais, ce qui n’empêche pas de solides performances académiques.

La Tanzanie a décrété le swahili langue nationale et l’a généralisé comme langue d’enseignement public depuis les années 1970, contribuant à un taux d’alphabétisation élevé. L’Afrique du Sud reconnaît 11 langues officielles (zulu, xhosa, sotho, etc. en plus de l’anglais et l’afrikaans) et impose l’apprentissage de deux langues nationales au cursus de chaque élève sud-africain .https://ledeclicdelinfo.com/2025/02/24/missions-et-pouvoirs-du-chef-de-letat/

La Somalie a adopté l’alphabet latin pour la langue somali et l’a rendue langue d’administration et d’école, avec des résultats positifs en termes d’unification linguistique du pays. Ces exemples montrent qu’avec une volonté politique forte, il est possible d’institutionnaliser les langues nationales sans freiner le développement. au contraire, cela peut améliorer l’inclusion scolaire et la cohésion nationale.


Au Cameroun, on est encore loin d’une telle intégration généralisée. Les politiques publiques actuelles bien que dans la bonne direction restent trop timorées et insuffisamment déployées pour inverser la tendance lourde. Les acteurs de terrain appellent à un renforcement de ces politiques.

LDI: Quel est le conseil que vous pensez afin que la relève soit assurée ?
CTS: Le premier maillon de la chaîne reste la famille. C’est au sein du foyer que l’enfant tisse son lien originel avec la langue. C’est prouvé scientifiquement qu’un enfant peut apprendre simultanément plusieurs langues sans confusion, du moment qu’il y est exposé régulièrement dans des contextes affectifs positifs.

Il faut donc encourager les parents, dès la naissance, à parler leur langue maternelle à la maison. Les jeunes couples urbains issus d’ethnies différentes pourraient par exemple adopter la règle du “une personne, une langue”. En d’autres termes papa parle sa langue à l’enfant, maman se prête au même exercice. A la fin, l’enfant baigne dans les deux.

Plutôt que de switcher automatiquement vers le français/anglais, ils peuvent réserver celui-ci aux interactions externes. Valoriser les liens intergénérationnels est aussi crucial. Il faut inciter les grands-parents à raconter des histoires dans la langue aux plus petits, organiser des réunions familiales bilingues. Ce sont des circonstances où les aînés expliquent les termes aux plus jeunes…

En restaurant la langue comme vecteur d’intimité familiale et de transmission de valeurs, on lui redonne vie. Des programmes de “mentorat linguistique” pourraient voir le jour. Pour ce faire, un ancien du village “adopte” un jeune citadin pour lui enseigner régulièrement la langue via des appels vidéo ou lors de visites.
Les éducateurs et le système scolaire ont également un rôle central pour assurer la relève. En plus des politiques publiques (curricula bilingues, écoles pilotes évoquées plus haut), chaque enseignant peut contribuer à sa mesure.

Cela permet de désiloter les savoirs et de montrer aux élèves que leur langue est pertinente même dans un contexte scolaire/académique.

Les établissements scolaires, de leur côté, peuvent organiser des clubs de langues et cultures. Des cadres où les élèves apprennent mutuellement leurs langues respectives par le jeu (chants, poèmes, mini-cours donnés par des camarades bilingues).

On voit émerger dans certains lycées des “Journées des cultures”. Occasion pendant lesquelles, chacun vient habillé en tenue traditionnelle. Il doit prononcer un discours dans sa langue. Ce genre d’activités renforce la fierté et l’intérêt. L’éducation non-formelle est tout aussi importante.

Les centres de loisirs, les associations de jeunesse devraient intégrer des ateliers de langues (par exemple un atelier de contes en langue nationale tous les mercredis après-midi dans une maison de quartier, sponsorisé par la mairie).


Les médias et institutions culturelles peuvent amplifier le mouvement. De même, soutenir l’édition de livres bilingues (un côté en français/anglais, l’autre en langue nationale) et la création de bibliothèques audio en langues nationales serait bénéfique.

Des institutions comme le CERDOTOLA (Centre international de recherche et de documentation sur les traditions orales et les langues africaines, basé à Yaoundé) œuvrent déjà à documenter les langues.

Il s’agit de mettre à disposition du grand public ces ressources, par exemple via des applications mobiles ou des musées vivants de la langue.
En matière de valorisation, officialiser certains usages symboliques pourrait marquer les esprits.

Par exemple, encourager les mairies à ouvrir leurs cérémonies avec une allocution dans la langue nationale majoritaire de la commune, avant de basculer en français/anglais.

Ou introduire des signalétiques bilingues (routes, bâtiments publics) dans les régions à forte identité linguistique. ce que font déjà des pays comme le Maroc avec le berbère ou l’Afrique du Sud avec les 11 langues officielles.

Cyrille Talla Sandeu, représentant Cameroun du Comité de coordination de la Semaine des Langues Africaines (ACALAN).

Propos recueillis par La Rédaction

#LanguesMaternelles

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