Par Louis-Marie Kakdeu
On ne passe plus une seule journée au Cameroun sans suivre des histoires rocambolesques fabriquées par le gouvernement pour distraire le peuple. Je me sens aujourd’hui interpellé parce que le curseur est passé des fausses histoires de justice ou de football aux fausses réformes ou volontés de réforme économiques. L’objectif de tout cela est de camoufler la faillite de l’État et la vulnérabilité du pouvoir en place. Par exemple, ce 10 juillet 2024, le Président de la République a tenté d’embrouiller l’opinion publique en signant un décret portant transformation de la Société Nationale d’Investissement (SNI) en société à capital public. Une vraie blague de mauvais goût !
Un décret présidentiel en déphasage avec le débat d’orientation budgétaire au Parlement
« Ça sort encore d’où ce truc ? », a-t-on envie de se demander. Où est la cohérence ? Alors que le Parlement va à gauche, le gouvernement va à droite, ce qui accouche toujours d’un monstre qui prolonge la traversée du désert du peuple. On retiendra que pendant cette session parlementaire de juin-juillet 2024, pourtant consacrée au débat d’orientation budgétaire, le Président de la République aura doublement insulté le Parlement. D’abord, il lui a imposé par ordonnance un « collectif budgétaire » à la camerounaise où le rôle du Parlement se limitait à en prendre acte. J’explique de manière terre à terre : vous êtes réunis pour parler de budget. On change ce budget plutôt par ordonnance (qui a immédiatement force de loi avec ou sans votre avis) et on vous envoie uniquement pour le faire endosser. En Camerounais, on dit que le Président de la République a « séché » sa Majorité obèse, lui envoyant le message qu’elle ne sert à rien. Par exemple, aucun député n’était d’accord pour l’augmentation à 10 000 FCFA du timbre sur la CNI, mais aucun n’a pu broncher. Le SDF a demandé une session spéciale sur la CNI, et la Présidence de la République a pesé de tout son poids pour qu’elle ne se tienne pas. Par conséquent, la Représentation nationale n’a pas pu demander au gouvernement de fournir des informations claires (obligation de transparence) sur la convention mafieuse et illégale (en violation du code des marchés publics) qui a été signée le 13 mai 2024 entre la DGSN et le prestataire.
Alors que tout le monde est d’accord pour utiliser le cadre offert par les CTDs pour créer et opérer les postes d’identification, le gouvernement camerounais veut non seulement augmenter la pression fiscale sur les pauvres citoyens (contribuables) pour construire de nouvelles infrastructures, mais aussi, et surtout, mettre en concession ces nouveaux centres de production au prestataire qui n’aura finalement rien investi et qui ne sera venu au Cameroun que pour manger sur le dos des citoyens. Aucun député de la Majorité obèse n’a pu lever le moindre doigt, et le Parlement a validé une mafia de 320 milliards dans un pays déjà surendetté et sous perfusion du FMI. Même si le SDF n’a pas encore pu bloquer cette mafia, il continuera de travailler méthodiquement pour y parvenir, à l’image de ce qu’il avait déjà fait pour bloquer la mafia des péages automatiques, où il était incompréhensible que le gouvernement endette le pays à hauteur de 14 milliards pour construire 14 hangars automatiques et mette en concession pendant 20 ans ces infrastructures à des mafieux qui n’avaient rien investi, comme le recommande la logique du BOT (Build Operate and Transfer).
Insultes répétées au Parlement
Ce 10 juillet, le Président de la République a encore copieusement insulté les députés, qui exercent pourtant avec lui la souveraineté du peuple, en passant par décret des réformes économiques en décalage avec le Document de programmation économique et budgétaire du Cameroun. Comment pouvez-vous faire voter une chose à l’Assemblée nationale lundi et signer un décret pour tout autre chose mardi, si ce n’est une navigation à vue ou une stratégie de distraction massive ?
En effet, le Cameroun est sorti de la logique d’ajustement structurel autour des années 2006 pour prendre résolument le chemin des Programmes économiques, c’est-à-dire pour prendre une logique de structuration des projets autour des besoins exprimés par les populations bénéficiaires. En gros, le Cameroun avait choisi de ne plus être esclave des institutions financières en travaillant pour obtenir de bons chiffres (taux de croissance, PIB, devises, etc.). Cette approche top-down n’avait pas garanti le bien-être des populations locales. Par exemple, on vous dit que le taux de croissance est de 4 % alors que le pouvoir d’achat des citoyens a baissé de 17 %. On célèbre quoi et on travaille pour quoi : le taux de croissance ou le pouvoir d’achat ? Le Cameroun semblait avoir choisi la logique des programmes, c’est-à-dire que le pays identifie les besoins de ses populations et y fait face (approche bottom-up). C’est en tout cas dans cette logique que le budget national est supposé être structuré à l’Assemblée nationale. Mais, voilà que le décret présidentiel nous ramène dans les années 1990 avec la logique d’ajustement structurel dictée une fois de plus par le FMI.
Débat sur l’orientation économique
Le FMI considère que la logique des Projets/programmes est un mécanisme de subvention à rejeter dans son option ultralibérale. De quoi s’agit-il ? Par exemple, dans l’actualité, le gouvernement (Ministère en charge de l’agriculture) vient de promettre 1 milliard FCFA à l’IRAD pour promouvoir la culture locale du riz conformément au budget-programme en cours et reconduit jusqu’en 2027. Comme cette initiative, il existe plus de 150 projets/programmes au Cameroun entièrement financés par le budget national et par les emprunts. Il ne faut pas embrouiller les gens : il n’est prévu aucune place à la SNI dans cette logique de production locale. Il s’agit par exemple de la mise en œuvre du Plan Intégré d’Import-Substitution Agropastoral et Halieutique (PIISAH), avec un accent particulier sur la production du riz et du poisson.
Où est le besoin ?
Le Cameroun importe plus de 1,2 million de tonnes de riz par an, ce qui consacre une fuite de devises importante de près de 200 milliards et la création de richesse plutôt dans les pays fournisseurs. Je ne veux même pas évoquer la situation du poisson, qui est encore plus catastrophique. Or, la logique de l’import-substitution, que le gouvernement chante lorsque les ministres sont déjà rassasiés, recommande que l’on produise sur place pour créer localement la richesse. Cela passe bien sûr par la subvention, ce qui est une mesure de justice dans la mesure où les produits importés subventionnés (à la production, au transport jusqu’au Cameroun et à la douane, parfois en faveur d’accords économiques à sens unique) entrent en concurrence déloyale sur le marché camerounais avec les produits camerounais non subventionnés, en totale violation de la loi de 1998 sur la concurrence au Cameroun.
Le FMI n’est donc pas juste et honnête lorsqu’il impose au Cameroun de réduire la subvention sur ses produits locaux. La transformation de la SNI en « société à capital public » signifie une seule chose : la fin des subventions et la prise de l’option profit. L’on supprime dans la foulée toutes les structures qui étaient en charge de la réhabilitation et de la mise à niveau des entreprises. Si l’on prend une année de référence comme 2018, l’on se rend compte que sur les 28 entreprises publiques figurant en annexe de la loi des finances, 14 étaient en faillite depuis 2014. La transformation de la SNI en société à capital public montre la volonté du gouvernement de ne plus mettre de l’argent dans la réanimation des entreprises publiques en faillite pour des raisons de souveraineté ou d’utilité publique. Elles n’auront donc qu’à mourir comme les 188 autres que le Président Ahidjo avait laissées ! La conséquence immédiate pourra être la mort de ces entreprises en faillite comme la Camer-co, la SEMRY (après la SODERIM ou la SODEBLE), la CAMTEL, etc. En effet, l’investissement public prend une option commerciale et/ou libérale telle que recommandée par le FMI, et s’ouvre à la logique du marché sans aucune importance accordée aux considérations de souveraineté que l’on retrouve encore dans les « entreprises à capitaux publics ».
Par exemple, il ne sera plus question de parler valablement de souveraineté alimentaire au Cameroun, dont le but est de contrôler la qualité et la quantité des aliments consommés par les populations. On parlera mieux d’agribusiness, dont le but est de faire des chiffres et de gagner de l’argent.
Réformes économiques et répartition des investissements
Bien plus, la logique des programmes est structurée par secteurs prioritaires. Il y a le secteur des infrastructures, le secteur agricole, le secteur des industries, les secteurs sociaux et le secteur de la gouvernance. Dans le secteur des infrastructures par exemple, le gouvernement doit investir sans rentabilité directe dans les facteurs de production ou encore dans ce que l’on appelle « biens publics ». La logique ultralibérale du FMI ne validera pas ces dépenses dites sociales ou de souveraineté, qui participent.
Louis-Marie Kakdeu (MPA, PhD & HDR, Deuxième Vice-Président National SDF)
Louis-Marie Kakdeu est un universitaire et un homme politique camerounais. Il détient un Master en Administration Publique (MPA), un Doctorat (PhD) et une Habilitation à Diriger des Recherches (HDR). En politique, il occupe la position de Deuxième Vice-Président National du Social Democratic Front (SDF), l’un des principaux partis d’opposition au Cameroun. Son expertise académique et son engagement politique font de lui une voix influente dans les débats sur les politiques publiques et les réformes socio-économiques au Cameroun.